Témoignage de Vincent

VINCENT aujourd’hui âgé de 34 ans revient sur son parcours.

« Mes parents se sont battus pour que mon frère Thibault et moi puissions avoir une vie normale. Le diagnostic de la maladie de Duchenne a été porté alors que j’avais quatre ans. Mes parents avaient été alertés par ma fatigue à la marche, des difficultés à me relever quand j’étais par terre. Les pronostics des médecins n’étaient pas encourageants : « Il n’apprendra jamais à lire, il faut le mettre en institut ». J’aimerais bien revoir le médecin qui voulait m’envoyer en établissement, lui montrer qu’il avait tort.

J’ai toujours voulu être intégré avec d’autres valides, vivre une vie normale. En début de lycée, j’ai eu un peu de difficultés avec mes camarades qui m’embêtaient avec mon fauteuil électrique. A cet âge, il y a plein de jeunes qui ne sont pas encore finis dans leur tête. Avec le temps, ça s’est amélioré.

Premiers apprentissages

J’ai eu du mal à apprendre la lecture. De ce fait, j’ai fait trois CP successifs, dans une école qui suivait la pédagogie Freinet. Je me suis appuyé pour apprendre à lire sur plusieurs méthodes, même des méthodes gestuelles (Borel-Maisonny). J’ai vraiment su lire à la fin de ces trois années, et je comprenais bien les consignes. Puis j’ai doublé mon CE1. Jusqu’en fin de primaire, j’ai suivi des séances d’orthophonie. A partir du CE2 jusqu’au lycée, j’ai bénéficié de l’aide d’un auxiliaire de vie scolaire (AVS). Et je n’ai plus jamais redoublé jusqu’en 1ère.

En retard au collège

Le décalage d’âge n’est pas évident à vivre. Normalement, quand on a plus de deux ans de retard, on est viré. Pourtant, tout le monde n’a pas besoin du même temps pour réussir, et il y a des élèves qui arrivent au collège sans savoir lire. Moi, j’étais plus vieux qu’eux, mais au moins je savais lire.

En fin de collège, l’équipe éducative voulait m’orienter en BEP parce que soit disant je ne pourrais pas suivre. Mes parents ont répondu que cette orientation n’était pas souhaitable pour moi compte tenu de mon handicap physique. Il n’y avait que des classes de BEP en plomberie ou en menuiserie dans les lycées proposés. Il ne faut pas toujours écouter les enseignants, il faut aussi suivre nos propres intuitions. Je me suis dit que je pourrais toujours réussir si je me battais.

Entrée réussie au lycée

En fait, j’ai réussi ma seconde et j’ai pu passer en première S. Au lycée général, c’est le travail intellectuel qui prime, c’est plus simple pour moi. En cours, j’avais un AVS qui prenait les notes pour moi. L’ordinateur ne me servait pas vraiment. Au baccalauréat, j’ai bénéficié de plusieurs aménagements : un secrétaire (en l’occurrence, mon AVS qui écrit pour moi) et un tiers de temps supplémentaire. La limite du tiers temps, pendant l’année scolaire c’est lorsqu’il y a un devoir surveillé et un cours ensuite et puis pendant les examens, c’est la fatigue due à la longueur des épreuves surtout quand les épreuves se succèdent dans la journée.

Vers le bac

Après de bons résultats en seconde, notamment dans les matières scientifiques, je me suis lancé en 1ère S. C’était trop dur et cela ne me motivait pas. J’ai redoublé en 1ère STG et passé mon bac en deux ans.

Mes matières préférées sont la philosophie et l’anglais. Je suis motivé et intéressé par tout, et j’ai une bonne mémoire. J’ai eu 17 en maths au bac, 14 en gestion des ressources humaines, et 13 en management. Du fait de ma dyslexie, j’ai obtenu une dispense d’espagnol deuxième langue au baccalauréat (j’avais obtenu 6…). Je suis dyslexique léger, mais avec la philo, je me suis nettement amélioré.

Projets d’avenir

Je pratiquais beaucoup les jeux vidéo qui me permettaient de faire ce que je ne peux pas faire dans la vraie vie, comme des exercices physiques. C’est pour cette raison que, le bac en poche, j’ai pu envisager d’intégrer une Ecole Supérieure d’Infographie. J’aime l’art, le design, créer des choses imaginaires, inventer. Les fauteuils électriques, par exemple, pourraient être plus design.

Ses parents constatent :

« Par rapport aux autres, c’était parfois difficile de se reconnaître handicapé. Vincent en a subi les conséquences avec ses camarades, les filles notamment.

Vincent aime toujours beaucoup la création. Son projet professionnel était parfaitement cohérent de ce point de vue. »

Réussir le BAC à 23 ans ce n’est, peut-être, pas vraiment un exploit pourtant nous considérons ce succès comme tel. C’est quand même extraordinaire si nous nous remémorons son parcours scolaire :  au début du cycle scolaire de nos enfants, les difficultés étaient telles, que nous évitions de nous projeter trop loin.

Un enfant myopathe de Duchenne grandit avec une maladie qui évolue inexorablement vers la perte de toute autonomie motrice.

La scolarisation de ces enfants n’est pas très simple car elle nécessite la mise en œuvre de certaines mesures  ( accessibilité des locaux, auxiliaire de vie scolaire, matériel adapté …) mais ce sont  les troubles cognitifs qui ont été source des problèmes les plus  importants. La place de Vincent à l’école a même été remise en cause.

La première grande difficulté a été d’identifier les troubles cognitifs pour ce qu’ils étaient avec leurs spécificités.

Au début, c’est l’explication psychologique qui était privilégiée par les enseignants (« il ne voulait pas grandir et donc pas apprendre à lire par exemple ») alors que nous étions convaincus du lien direct de ces troubles avec la maladie mais notre parole de parents n’était pas prise au sérieux. Vincent nous demandait pourquoi il n’arrivait pas à apprendre à lire comme ses camarades et se sentait dévalorisé tant sur le plan des acquisitions scolaires que sur le plan physique. C’est après le troisième CP, que l’explication neurologique a été mise en avant et, selon l’équipe éducative de suivi scolaire, la solution aurait été le milieu spécialisé. Nous nous sommes battus pour maintenir Vincent dans le circuit ordinaire : d’une part Vincent ne voulait absolument pas quitter l’école et d’autre part les structures proposées n’étaient pas adaptées à sa situation. Le côté social de l’école était important pour lui. Nous pensions que, malgré ses grandes  difficultés dans  les apprentissages, Vincent avait des capacités  qu’il fallait exploiter même si cela devait prendre du temps. Finalement nous avons eu raison mais nous y avons perdu des plumes, certains combats auraient pu nous être évités.

Heureusement l’orthophoniste qui suivait Vincent a été une précieuse alliée et son empathie et sa bienveillance nous réconfortait.

Le plus difficile a été la confrontation aux représentations de chacun : représentations de la maladie génétique, représentations des fratries multiples, représentations du handicap moteur, représentations des troubles cognitifs, représentation des parents d’enfants handicapés …

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